la philosophie du travail fait entièrement à la main

Bonjour,

Voici une réflexion personnelle, presque une intuition, alors que je débute en bijouterie. Cela pourrait ouvrir une piste de réflexion à ceux qui, débutant, ne voient pas vraiment la distance qui sépare ces deux états d'esprit que sont la bijouterie faite entièrement à la main, et la fonte.

En cherchant un atelier où poser mes outils et commencer à créer des bijoux, ici à Florence, ville qui regorge d'écoles et de bijoutiers, joailliers et d'orfèvres, je me suis confronté directement à cette problématique. Les nombreux ateliers que j'ai été voir, accueillaient tous des étudiants issus des écoles de la ville: Metalo Nobile, Academia delle Arti Orafe, LAO School, etc.
Et puisqu'une école est aujourd'hui, dans de nombreux cas, une étape précédent le recrutement direct, l'argument d'une école est son réseau, sa mise en lien avec des entreprises qui emploieront les futur bijoutiers qui la choisiront elle plutôt qu'une autre.

J'attire l'attention des étudiants en bijouterie sur le fait qu'une école n'est pas neutre, elle réponds aux demandes du marché, pour proposer aux étudiants un accès à l'emploi. C'est donc logiquement qu'une école est influencée, dans sa pédagogie, par les états d'esprit et les pratiques des entreprises. Et puisque l'essentiel des entreprises sont tournées vers une rentabilité exacerbée, une course à la compétitivité, et des productions en série pour vendre plus, les écoles ont vu la qualité de leurs programmes diluée par cette symbiose avec les entreprises comme nécessité d'insertion sur le marché du travail pour assurer leur référencement.

J'ai donc passé en revu les 7 ateliers partagés que j'ai trouvé dans cette ville, dont chacun accueillant des élèves en formations. Tous, excepté un atelier, ont dû pour satisfaire la demande du marché, se tourner vers une organisation de l'espace de travail vers les techniques de la fonte à la cire perdue. Le manque de connaissances lorsque j'ai évoqué, (tout en respectant poliment leur approche déontologique de ce métier) le fait que je souhaite travailler entièrement à la main, m'as fait comprendre qu'un réel manque d'information domine le milieu, en tout cas le milieu italien florentin. Je ne peux pas faire de généralité. Je ne sais pas, pour le reste du monde.

Tout cela pour dire qu'il m'as semblé exister une réelle et nette différence d'approche entre les "vieux" du métier, qui ont  probablement plus de 30 ans d'expérience et viennent d'une époque où les choses étaient probablement encore qualitatives, et les bijoutiers plus jeunes, fraîchement issus de formations, d'écoles, et qui peut être ne se rendent pas vraiment compte de cette réalité.

Les ateliers que j'ai visité et qui étaient tenus par des bijoutiers dans la trentaine, étaient tous tournés vers la fonte et il m'as été "stricto-verbo" déconseillé par plusieurs d'entre eux d'aller travailler dans tel atelier, "moins sérieux".

A la fin d'une série de 6 visites, j'ai fini par entrer dans le dernier atelier qui m'avait été déconseillé plus de 3 fois pour son manque de qualité.

Les deux artisans qui ont créé l'atelier, un petit atelier ne payant pas de mine vu de l'extérieur, ont été les seuls chaleureusement accueillants, et qui ont exprimé leur plaisir d'apprendre et de transmettre. L'un avait la quarantaine, l'autre la soixantaine.
Pas de matériel de fonte, pas de dédain, et surtout beaucoup d'humilité dans la discussion.


C'est donc peut-être aussi ce qu'il faut aller y chercher, dans cette approche du métier, le bon état d'esprit qui permet de voir les choses avec émerveillement pour ce qu'il y a à apprendre, à tester, et non pas la sensation d'avoir par un diplôme validé une expertise toute condescendante.

Bonjour Theodore S,

Totalement en accord avec ta démarche et ton analyse sur la situation des écoles ( trop souvent complètement aux ordres des grands groupes, malgré leurs baratins parfois angéliques ) et du métier.

Ce que ne te diront jamais les adeptes du moulage, est qu'ils savent parfaitement que via la fonte et la 3D , ils en tireront beaucoup plus de bénéfices par les quantités produites que nous, tout en sachant aussi qu'ils font volontairement des tas de concessions sur la qualité finale.

De toute façon de cela ils s'en fichent, car ce qui compte pour eux, est de faire un maximum de fric le plus rapidement possible avec le moins d'effort physique en atelier.

Pour être plus dur que toi, d'un côté il a y l'humilité et la fierté des artisans qui travaillent entièrement à la main sans moulage     , sachant qu'en étant généreux de leurs temps et de leurs efforts, ils créeront des merveilles, peu importe la gamme de prix et de l'autre...... les '' fondeurs ''   d'une hypocrisie totale    ) allant bien sûr en général à refuser systématiquement toute discussion de fond sur ces deux approches diamétralement opposées.

Notre époque est médiatiquement et politiquement de mensonges, à nous, aux plus jeunes et aux plus âgés de bien réfléchir au monde que nous voulons construire, de réfléchir à ce que nous voulons faire de notre temps. La vie est courte.....alors de toute évidence, il est possible de choisir l'authenticité, la qualité, la beauté, la durabilité et d'en vivre plutôt correctement, voir encore mieux ( ce qui est mon cas ) puis de tout faire pour partager de nos philosophies, de nos expériences avec les autodidactes et les plus jeunes qui souvent ont déjà parfaitement compris cette dualité.

Merci beaucoup Theodore S pour tes propos qui portent à de sages réflexions.  

Très belle journée.

   

Michel Zim ( J'aurais pu faire plus long, mais beaucoup ici connaissent déjà mes avis sur ce sujet.....précieux.)

Oui il me semble crucial pour tous les jeunes qui souhaitent se former où sont en formations, ou même les moins jeunes d'ailleurs ! de comprendre qu'il y a une forme de manipulation. Parce que si une formation est un produit financier (ce qui devient trop souvent le cas des écoles privées hors de prix ) , l'étudiant est un client. Et son argent n'est pas échangé honnêtement contre du savoir et de la pratique, mais contre du savoir et de la pratique orientés dans le sens de l'annonceur, en l'occurrence l'entreprise qui donne son poids à l'école par le recrutement des élèves. Elève qui devient donc à la fois client, et produit.

Je pense que beaucoup de jeunes suivent ce mythe des grandes écoles , reconnues par la profession, sans réaliser que ce sont les écoles qui suivent les entreprises, pas l'inverse. 

Bonjour,

Merci Théodore pour le partage de tes réflexions et analyses constructives.